L’instrument et l’artiste forment une unité, dans laquelle l’instrument devient la voix de l’artiste. Certains récits ne peuvent être transmis que par le chant. Comme il était d’usage dans la
tradition, le jeune musicien se formait chez un maître. Cette formation obéissait à des règles strictement parentales ou sentimentales. La relation entre l’élève et le maître était de nature
filiale, le plus souvent, ou de maître à disciple (parfois l’apprenant était obligé de développer ses connaissances au sujet d’une technique particulière ou d’une branche d’une généalogie). Le
maître portait en lui son expérience comme un bien inaltérable et l’élève, une fois jugé apte à recevoir les cours, se devait d’être à la disposition de son professeur, jour et nuit. Pour
acquérir le savoir du maître, il était, par la force des choses, obligé d’habiter avec lui pendant des années, son instrument toujours à portée de main. L’apprentissage devait englober tous les
aspects non seulement du savoir strictement musical mais aussi et de façon non moins importante le volet humain dans tout son acception. En effet, le maître occupait une place particulière dans
la chaîne qui relie l’homme à la surnature et au ciel ; il était celui qui peut rendre compte des musiques depuis le lieu où elles existent, celui des savoirs réservés, des savoirs acquis souvent
au prix de l’initiation, avec le piège du secret dont celle-ci se pare et qui empêche l’initié de transmettre ce qu’il a vu ou ce qu’on lui a dit. L’élève acceptait de servir le maître et de
l’aider dans les travaux champêtres ou autres, l’accompagnait dans ses voyages de pays en pays, chez les rois et princes, le secondait dans les cérémonies. L’apprentissage et l’éducation,
toujours ensemble, se pratiquaient sans interruption, sans horaires fixes. Ce type de relation ne visait ni l’innovation ni l’originalité. Chaque communauté avait ses critères propres en matière
d’éducation. Cette forme d’éducation, propre à la tradition orale, remplissait les fonctions attendues d’elle dans les sociétés africaines, où prédominent le rythme et la parole, la chaleur du
mouvement vital par rapport à ce qui est fixé. Le rôle de ces « écoles » se limitait essentiellement à la reproduction « d’un esprit musical ».
Ainsi, dans les traditions Sereer, à côté du raisonnement et de la réflexion intellectuelle, la survivance du sentiment de l’honneur, de la tendance à l’esprit de solidarité ou de communauté, de
religiosité, ont toujours été développés dans les apprentissages de la science musicale. La musique, de même que l’organisation sociale ou la langue ou encore la religion, représentait une des
bases importantes de la société traditionnelle.
De nombreux témoignages racontés le soir au coin du feu permettent de mesurer toute la passion qui a animé ces musiciens durant des siècles. Les restitutions de mélodies témoignaient souvent
d’une rare intensité sonore et sentimentale. Les airs s’apprenaient de façon routinière. C’est la répétition globale des mélodies, en vue de l’obtention d’un son désiré, qui constituait
l’essentiel de l’apprentissage. Ceci explique comment certaines mélodies traditionnelles de structure complexe ont été assimilées intégralement d’une manière orale par beaucoup de musiciens
d’autrefois. Ici intervient la motivation due au plaisir engendré par la musique.
En pays sereer, la musique joue un rôle de médiation entre les hommes et les forces de la nature. Le griot était vu comme un personnage disposant de pouvoirs mystiques. Ainsi, chez les sereer, la
musique détient le pouvoir d’attirer les premières pluies ; de conjurer le mauvais sort ; d’introniser un roi, de marquer le passage des jeunes garçons à l’âge adulte avec le Ndut , etc. Les
apprenants en musique traditionnelle devaient maîtriser la généalogie des familles et les liens familiaux, être à égale distance des composantes de leur communauté, savoir distinguer les musiques
pour les nobles et les princes, celles des rites, pratiquer les instruments liés aux événements religieux ou profanes, sans oublier les connaissances ésotériques. Les instruments permettaient de
communiquer avec les forces invisibles. Selon qu’ils étaient à cordes, à vent, à percussion, ils étaient en rapport avec les éléments : la terre, l’air et l’eau.
Rien ne se faisait autrefois sans un chant ou la présence du griot . Ces classiques de la musique traditionnelle, où sont retracées les pages glorieuses de notre histoire et évoqués les exploits
des grandes personnalités, faisaient rêver les jeunes, qui découvraient des personnages dont s’enorgueillissaient non seulement leurs familles mais toute leur communauté.
Le griot traditionnel prenait en charge la mélancolie et autres soucis de la destinée humaine en les transformant en chants. En un instant, il savait faire jaillir comme une étincelle un mot, de
ce mot émergeait une note, et de cette note un chant. Le griot était celui qui savait regarder, observer les signes : la pluie, le retour de la verdure, ainsi que l’issue heureuse d’une bataille,
pour les élever aux dimensions d’une fresque épique. Il n’excluait pas la souffrance, mais la transformait en conquête.
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